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Entretien avec Bertrand Mandico

Bertrand Mandico (Toulouse, 1971) se fait connaître en 1999 avec son premier court-métrage, Le Cavalier Bleu. C’est le point de départ d’une filmographie organique et mutante, qui intègre des référents très divers en gardant toujours une voix très personnelle. Son premier long-métrage, Les Garçons Sauvages (2017), a été présenté à la 74 Mostra di Venezia et a devenu ensuite une des révélations de l’année.

 

Quelques de vos court-métrages, comme Boro in the Box ou 8, tournent autour du rapport des personnages avec le cinéma. Si la caméra moussue du jeune Boro nous remet à l’aspect plutôt matériel du tournage, les vidéos d’Octave deviennent un moyen pour accéder à des endroits magiques et inconnus. Quel est votre propre rapport avec le cinéma?

C’est un rapport viscéral. Je cadre tous mes films. Je n’embrasse pas les acteurs et les actrices, mais j’embrasse la caméra quand je tourne, je la caresse, elle devient une greffe, un prolongement de ma personne. Quand je filme j’ai l’impression d’être en transe, de ne faire qu’un avec mon film. D’être acteur et spectateur. Par moment je perds connaissance, mon esprit s’évapore, je dois revenir à l’état présent.

Je filme en support pellicule. Et cette façon de tourner est de l’ordre du rite, un procédé alchimique. Quand je tourne, j’essaye de transformer ce que j’ai, peut-être pas en or, mais plutôt en pierre précieuse. Par exemple, la surimpression est très présente dans mon travail filmique, mais j’ai aussi la sensation que j’avance tout en surimpression. En regardant vers l’avenir, vers le futur, vers une avant-garde, en me projetant dans des choses que j’ai envie de tester. Puis j’ai aussi un rétroviseur permanent par lequel je fouille le passé. Je ne veux pas être amnésique, je ne peux pas faire du cinéma en oubliant ce qui a été beau, bien, inspirant, brillant…  Je fais des films avec cette superposition entre l’avant, vers lequel je vais, et le passé, que je quitte mais qui est toujours prégnant.

 

Se remonte-t-il aussi à votre enfance?

Enfant j’étais dans une frustration de cinéma. Je jouais à l’acteur: des scènes mélodramatiques avec des agonies infinies. Je dessinais des séquences. La caméra m’était étrangère.

 

On a l’impression que votre filmographie forme un corpus organique, interconnecté, relié par certaines thématiques récurrentes et une esthétique très personnelle. Quels sont les intérêts qui se trouvent au cœur de cet univers filmique?

L’amour impossible, la mort, le vieillissement, la fin du désir, la mutation (préoccupations récurrentes)… Puis il y a aussi le monologue intérieur, les références qui me parlent comme une personne qui serait assise sur mon épaule… Je convoque et je marie références nobles et sales.

Je fais confiance en mon inconscient, mais je m’en méfie comme de la peste… Je marche les yeux fermés, un poignard dans la main, au cas où ça tourne mal… Mais il faut un certain temps pour qu’il se libère, ce foutu inconscient. Ensuite, quand il coule, je le canalise un peu sans le brusquer, sinon il se fige… Je retiens les idées dans un tamis, je gratte, je rabote, j’essaie de rationnaliser… Mais j’ai l’impression, de film en film, de tisser une toile d’araignée. Tous les films communiquent et sont reliés. Un film fait bouger tous les autres et contient tous les autres.

Ce qui est important c’est le récit, la musique, les sensations, les sentiments, se laisser porter par l’histoire… On peut voir mes films sans avoir aucune référence, peu importe. On n’est pas obligé de cueillir des fleurs pour les apprécier, on peut se contenter de les sentir et les regarder.  Mon but est que le film puisse toucher différents publics, au plus profond et durablement, en gardant une part de mystère.

Prendre le spectateur à parti, c’est mon réalisme à moi. C’est-à-dire que j’assume mon médium, mes personnages sont conscients qu’ils sont en train de faire du cinéma, et moi-même je mets le spectateur face à un film qui est conscient d’être film. C’est donc mon réalisme, qui me permet d’atteindre une métaréalitée. Et je joue ainsi avec le spectateur, en lui disant qu’on est en train de faire du cinéma, mais tout de même on se tient par la main et on plonge pleinement dans l’expérience. C’est quelque chose que j’aime beaucoup, cet abandon romantique. Ce jeu avec le spectateur, cette réalité que l’on retourne comme un gant couvert de chair.

 

Les Garçons Sauvages est votre premier long-métrage, mais vous avez déjà une œuvre abondante et consolidée, formée par dizaines de court-métrages. Qu’est-ce qui vous attire de ce format, lequel vous revendiquez beaucoup plus que la plupart des cinéastes?

Le court métrage m’a permis de survivre artistiquement en attendant de pouvoir faire un film long. J’ai fait nombreux courts faute de mieux, en explorant les possibilités offertes par ce format. L’essentiel étant de faire un bon film. Un film singulier.

 

Les Garçons Sauvages est un film très sensoriel, très artistique, mais on a l’impression qu’il s’appuie aussi sur une base théorique: on pourrait le lire comme un manifeste féministe, comme une exploration de la fluidité de genre ou comme un étude psychanalytique du rapport entre les pulsions érotiques et les pulsions de mort, par exemple. L’académisme, a-t-il un rôle dans votre processus de création?

J’ai voulu faire le film qui me hantait, faire le film que je voulais voir, ne pas bouder mon plaisir de spectateur et d’auteur. Explorer un type de récit fantastique qu’on n’a peut-être pas l’habitude de développer quand on aborde un premier long: une histoire qui mêle aventure académique et surréalisme organique, île tropicale et studio, bateau et tempête, sexe et métamorphose… J’ai tourné en essayant d’embrasser la fantaisie, avec toujours le désir d’entrainer le public dans un sillage classique. Avec Les Garçons Sauvages, j’ai laissé libre cours à mes pulsions scénaristiques et mon désir de brouiller les cartes du genre, en m’appuyant sur des partis pris esthétiques marqués.

L’esthétisme est comme une lumière qui brillerait dans la nuit du réel brut qui nous envahit. C’est une lueur qui éclaire le récit, qui me guide de scène en scène, j’essaye de lui résister, de le tordre, de le mal traiter pour qu’il n’entrave le film ou l’étouffe. La forme doit traduire le fond de façon insidieuse. Je veille à ne pas faire de l’esthétisant, je cherche à rester sur un fil fragile, entre grotesque et délicatesse.

Ensuite, on peut dire que c’est la mécanique organique vivante qui me motive, la communion de fluides, les fusions, les métamorphoses: les passages de frontières, les zones non marquées… Je travaille cela de façon obsessionnelle, inconsciente. Les Garçons Sauvages n’est pas un film à thèse, c’est plus de l’ordre de la pulsion.

Mes idées me disent où je me trouve, mais elles ne m’indiquent pas où je vais.

Mais le film est aussi une réaction aux conventions académiques, j’en ai assez de voir de façon primaire ou binaire, des hommes jouer des hommes et des femmes jouer des femmes. Où lorsqu’une femme joue un homme on contextualise et on rend la chose logique ou justifiée. Je crois qu’il est temps de s’amuser à jouer avec la représentation sexuelle. J’avais été profondément marqué par l’interprétation de Cate Blanchett incarnant Dylan dans le film de Haynes [I’m Not There, 2007]. Pour moi, ce genre de prestation ne doit plus être une exception, mais un principe de possibilité. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Les Garçons sauvages.

 

Le son joue un rôle central dans votre œuvre: de la musique suggestive aux sons ambiance, en passant par les dialogues, qui sont postsynchronisés. Est-ce que vous pourriez nous parler un peu de cet aspect de votre cinéma?

J’ai des intuitions sonores au départ. Il arrive que je ne garde rien de ce que j’avais imaginé. C’est le film qui impose sa bande-son. La musique m’inspire pour créer des images et ensuite je l’abandonne pour ouvrir l’image à autre chose.

C’est une construction organique. J’essaie de trouver un équilibre pour que le spectateur puisse être mené d’un point de vue sonore dans le récit sans trop se poser de questions. Je ne prends pas de son sur un tournage, ou un son témoin dont je me débarrasse rapidement.

Je regarde mon montage sans le son et je crée la bande son par strate. Ambiances électroniques, musiques, post-synchro (avec une nouvelle direction d’acteurs), bruitages. Ses éléments séparés sont travaillés dans leur ensemble, comme un tout sonore. Ensuite je fais le chemin inverse: j’enlève l’image pour voir si mon récit tient la route simplement avec le son. Les deux éléments doivent fonctionner séparément. Comme je tourne en pellicule, la post-production image est courte. Je fabrique tout au moment du tournage. En revanche, j’ai beaucoup plus de travail concernant la matière sonore car je reconstitue la bande-son qui doit agir sur mes images comme un fleuve sur un paysage.

 

Vos films sont comblés de référents et de références. Nous nous intéressons spécialement à votre rapport avec Walerian Borowczyk, un cinéaste dont vous avez souvent parlé. Qu’est-ce qui vous unit à lui?

Je l’ai découvert étudiant en cinéma d’animation, et j’ai été frappé par son parcours, son rapport au court métrage, à l’animation expérimentale, au surréalisme, à l’érotisme, une œuvre cohérente, je l’ai vu comme un modèle… Lui et David Lynch, tous deux fruits d’un cinéma d’animation expérimental.

Suite à mon premier court, Le cavalier bleu (1999), j’ai eu la possibilité de le rencontrer. Il l’avait manifestement apprécié. Mais je me suis dégonflé, ne me demandez pas pourquoi. Ça reste un regret.

 

Ecce Films nous a encore émerveillé à la 75 Mostra di Venezia: si l’année dernière on découvrait Les Garçons Sauvages, cette fois a été le tour de Bêtes Blondes (Matray & Walther). L’impression c’est qu’ils parient pour des voix insolites, pour des cinémas qui explorent des espaces inconnus. Comment se déroule votre travail avec eux?

Emmanuel Chaumet est un producteur iconoclaste et il aime les cinéastes iconoclastes. C’est lui qui est venu me chercher, je moisissais chez un (co)producteur de renom. Emmanuel n’a rien du producteur «seigneur» qui hante les festivals une coupe de champagne à la main, ne co-produisant que des films art-house formatés pour les grands festivals.

Il fait des films d’auteurs iconoclastes ou des comédies décalées, en buvant un café au comptoir d’un bistro de quartier… Il ne croit pas à la suprématie du scénario formaté, ni aux montages financiers internationaux. Une fois que nous sommes d’accord sur un projet, il cherche l’argent. Quand l’argent est trouvé (ou pas totalement), on voit comment faire le film.  Comment faire entrer le cube dans le cercle… Et on fait sans discussions inutiles.

On vous a entendu parler de différents projets en cours, notamment 20+1 projections, une longue collaboration avec votre actrice habituelle, Elina Löwensohn; mais aussi d’une série de science-fiction, Prairie, ou d’un autre long-métrage, After Blue. En quoi travaillez-vous à ce moment?

After blue a un double titre: After Blue/ Paradis Sale… Nous essayons de trouver d’argent pour ce projet de film de science-fiction, se déroulant sur une autre planète, d’un genre plutôt inédit. Une fable écologique, ou refus de tuer sera le dénominateur central… Et l’idée aussi qu’il est plus héroïque de consoler les morts que de les venger.

Avec Prairie je suis dans une salle d’attente, le monde de la série me semble moins aventureux que celui du cinéma. Et je continue les courts avec Elina. On monte en ce moment un film sur des policiers new-yorkais enquêtant sur une ex-rock-star qui s’est faite volontairement éventrée pour libérer sa beauté intérieure.  Et puis une constellation d’autres projets.

 

Y a-t-il des nouvelles de votre projet dormant L’homme qui cache la forêt?

Oui, je le réanime, doucement, en lui faisant du bouche à bouche.  J’espère qu’il verra le jour. C’est un projet ambitieux et complexe qui nécessite presque un film de fin de carrière… Mais je crée une filmographie chaotique malgré moi. Il faut voir tous mes films à la fois comme un premier et un dernier film.

 

Illustration: Tià Zanoguera (tiazanoguera.com)

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